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Les métaphores dans l'apprentissage du tango


Une des spécificités de l’enseignement de tango est qu’il n y a pas de système unique de méthodologie, à l’inverse  du ballet, par exemple.

Malgré le fait qu’on apprend et enseigne les mêmes figures, la méthodologie de chaque professeur-e est très individuelle et unique. Il y a des méthodes plus techniques, ou on parle des muscles et de la géométrie des mouvements. Cependant il y a aussi des méthodes plus “artistiques’’ et abstraites dans leur approche. Dans ce cas les professeur-e-s essayent de faire comprendre certaine qualité de mouvements par des images, des comparaisons et des métaphores. Cette tendance enrichit beaucoup le tango et y ajouter une dimension artistique supplémentaire. Pour certaines personnes, cette méthode rend le tango plus accessible et intuitif ; pour d’autres, la méthode cérébrale et analytique fonctionne mieux.


Ici nous allons donner quelques exemples des métaphores qu’on utilise et qu’on entend souvent dans les cours parisiens :


- avoir des ailes : cette expression vise à activer les muscles du dos. Quand on parle des ailes, on parle d’expansion et de tonus dans les omoplates. En même temps il est important de ne pas être bloqué, de respirer et d’être flexible. Pour cela, la notion des ailes rend très bien cette idée d’omoplates « vivantes ».

- le sablier : on utilise cette image dans le tango pour évoquer les changements de poids. Il est possible de faire un transfert de poids de manière instantanée, mais aussi progressivement, petit à petit, d’une jambe à l’autre. Dans le changement de poids, il est aussi nécessaire d’être « lourd-e » dans le jambe et de garder le contact avec le sol. C’est le sable qui s’écoule vers le sol qui représente bien cette idée.

- suspendre la poitrine : il s’agit ici de cibler la posture de tango idéale, lorsque le/la danseur-se prend conscience de sa colonne vertébrale qui part du haut du corps et de la poitrine, pour aller vers le bas. Le bassin est relâché et la poitrine se tient parallèlement au sol.

- l’élastique : on utilise cette image pour parle d’un abrazo qui ne se fige pas dans la danse, qui bouge comme une élastique et qui s’adapte aux mouvements des partenaires. Il peut s’ouvrir et se refermer, rester à semi-ouvert ; il épouse vraiment les besoins spatiaux de certains mouvements.

- la spirale et la serpillière : on utilise ces deux termes pour parler de la dissociation et des pivots. Dans le tango, on dissocie souvent la partie haut et et la partie basse du corps. Pour faire un pivot avant correct, il faut donc dissocier en partant de la poitrine, puis laisser le bassin suivre le mouvement, grâce à l’inertie que produit la dissociation initiale. Visuellement, c’est l’idée d’une spirale, lorsqu’on voit la la partie haute suivre la partie basse, et vice-versa. Pour rendre l’image encore plus parlante, les professeur-e-s utilise quelque fois celle de la serpillière que l’on cherche à essorer, en lui donnant une forme de spirale, puis que l’on laisse se dérouler naturellement, grâce à l’inertie initiale.

- les roues : pour la marche, il faut bien sûr travailler avec les pieds. L’image suggérée est donc celle des roues d’une voiture, l’idée étant que le mouvement dans la marche ne doit pas être coupé, ou saccadé (comme avec des roues carrées !), mais qu’il doit être fluide et constant, puissant et assuré.

- le vélib’ : expression typiquement parisienne pour le tango, cette métaphore vise à expliquer aux débutant-e-s une des manières d’entrer en contact au moment de l’abrazo et la façon de créer une bonne connexion avec son ou sa partenaire. Quand la femme pose sa main gauche sur le triceps de l’homme, il faut que le bras s’y « imbrique » comme un vélo sur une station vélib’, qu’elle y trouve l’endroit idéal pour s’y sentir à l’aise. Le vélo/la main une fois imbriqué-e ne peut plus s’enlever. On insiste par là sur la justesse du contact et la fermeté de la connexion (sans lui enlever de la douceur et de la souplesse).

- la banane : l’image évoque la mauvaise posture de celles et ceux qui suivent en ayant le dos penché en arrière, de manière quelque peu similaire au tango américain.

- repousser les murs : cette expression est utilisée pour illustrer la tonicité du corps. Dans le tango, idéalement, l’on essaye de travailler l'expansion du corps vers toutes les directions – vers le haut, vers le bas, sur les côtés. L’image invite alors à imaginer une personne dans une toute petite pièce, qui souhaiterait élargir au maximum la pièce en utilisant tout son corps. Cette sensation d'expansion correspond alors à une idée de tonicité, essentielle pour donner de la qualité et du dynamisme aux mouvements de la danse

- un bol d’eau : c'est une image très simple qui vise la fluidité du mouvement de tango. On est invités à imaginer un bol plein d'eau, situé au niveau de notre ventre, et chaque moment de la danse, chaque mouvement effectué, ne doit pas troubler cette eau. Rien ne doit déborder. Certain-e-s professeur-e-s proposent même d'imaginer deux bols, l’un au niveau de la poitrine et l'autre au niveau du bassin.

- le ballon gonflé : ici, l’image veut servir à la fois la tonicité et la posture. La personne est invitée à s'imaginer comme un ballon gonflé d'air. Cela est censé supprimer toute mollesse du corps, afin qu’il se tienne bien, mais soulignons que l’exercice permet également de rester assez souple et de ne pas se bloquer et se rigidifier.

- les bras-spaghetti : on utilise cette image pour insister sur le fait qu’il ne faut pas guider avec ses bras, mais qu’il ne faut pas les laisser tout mous. Le terme existe aussi pour les jambes. Dans les deux cas, c’est la puissance en douceur qui est recherchée et l’on cherche à éviter un guidage (ou un suivi) qui ne part pas du centre du corps.

- rouler la Terre/terre avec les pieds : pour expliquer le travail d’appuis dans le sol pendant la marche, on propose d’imaginer que la Terre roule parce qu’on la roule avec nos pieds, grâce à des appuis fermes.

- papillon ou éléphant : dans le tango, on recherche un équilibre entre le poids et la légèreté, qui sont représentés par ces deux animaux. La sensation voulue –un ancrage aérien– se travaille par la posture et la force des appuis.

- la Ferrari/ l’avion : c’est ainsi que l’on surnomme les excellent-e-s suiveur-se-s, en soulignant la grande puissance de leurs mouvements, qui parviennent à être vifs et légers en même temps, en partant d’une petite intention de guidage –comme l’accélération d’une Ferrari à l’arrêt.

- faire le macho : vise à susciter une attitude plus affirmée, un guidage plus sûr de lui.

- la boîte lourde : l’un des termes récurrents du tango est celui de la « projection ». Cela désigne l’intention du guidage qui anime tout le corps et qui, de fait, le projette (vers l’avant pour marcher avec puissance, par exemple). Pour que les propositions de guidage soient plus claires, on propose alors l’image de guider en utiliser son corps comme si on aurait voulu bouger une boite très lourde. En outre, l’exercice permet de travailler la tonicité et les appuis.

- marcher contre le vent : la sensation recherchée ressemble beaucoup à une marche à contre-vent, les appuis étant bien forts vers le sol et le corps tonique sans être tendu, dans un mouvement de résistance.

- marcher dans l’eau : même idée que précédemment, à laquelle on y ajoute une forme de fluidité.

- allumer/gratter une allumette : cette image s’utilise pour les mouvements complexes que sont les voleos et les ganchos(mouvements particuliers de la jambe de/de la suiveur-se qui s’envole ou qui agrippe). Le geste vif qu’évoque l’image correspond à la réactivité attendue pour l’exécution correcte de ces mouvements. La jambe est une allumette

- le fouet : idem que précédemment, l’image rend compte du travail des jambes dans les voleos/ganchos, mais aussi du guidage de ces figures. Comme une fouet, la jambe doit prendre l’inertie de début de mouvement pour partir loin, librement. Pour guider, comme avec un fouet, il faut donner avec son corps une impulsion courte et accentuée.

- pousser le caddie : pour la marche, on veut parvenir à un mouvement très stable et tranquille en continuant de pousser sans arrêt – comme un caddie dans le supermarché.

- percer le sol : pour le pivot cette image est très utile. Le pivot dynamique et indépendant vient de la jambe de terre qui doit “percer” le sol en tournant.

- marcher comme un chat : donne une idée générale de la marche. D’abord, on vise la position des pieds dans des lignes bien définies, à chaque pas. Ensuite, on tente d’y ajouter fluidité et légèreté de mouvement. Enfin, on réfléchit à la manière de rendre le corps élastique et félin.


On utilise également des métaphores plus générales pour désigner le tango lui-même. Par exemple, certain-e-s disent qu’il s’agit d’un langage. Comme dans une langue, il y a du vocabulaire (figures) et des règles d’utilisations (codes). Lorsqu’on débute, on commence par parler très simplement avec des figures basiques. Petits à petit, on apprend à construire des phrases plus compliquées et on arrive à comprendre et à être de mieux en mieux compris. Voir le tango en tant que langage permet d’appréhender la danse (et la tanda) comme un dialogue dont les possibilités de conversation dépendent du niveaux de langue de chaque participant-e-s.

Le tango est souvent comparé à des relations amoureuses/familiales lorsqu’il s’agit de décrire les rôles : celui ou celle qui guide est comme un-e chef de famille, qui a plus de responsabilités, puisqu’il-elle propose le cadre basique; mais la personne qui suit sera comme un membre actif de la famille, qui prend des initiatives et qui met du cœur à l’ouvrage (dans le tango, cela signifie que les propositions vont dans les deux sens, la personne qui suit les faisant sans déranger le guidage et sachant y répondre avec richesse et profondeur). De même, l’image de la relation amoureuse prend tout son sens lorsqu’on imagine l’interaction entre deux partenaires : pour que la relation fonctionne, il faut que les deux soient capables de communiquer clairement et qu’ils-elles puissent s’exprimer librement (donc faire des propositions de guidages, des propositions de suivis aussi). L’échange se fait alors dans une optique d’écoute et de connexion, où l’on est véritablement tourné vers l’autre, mais où il est important de garder une certaine forme d’indépendance qui se traduit, dans le tango, par une capacité du/de la suiveur-se à rester sur son axe, à effectuer les mouvements proposés individuellement. A l’inverse de ce que l’on pourrait croire de prime abord, il n’y a donc pas de passivité au sein du couple du tango : les deux partenaires sont actif-ve-s, l’un-e suggère, l’autre répond, et la richesse de l’interaction dépend non seulement des capacités de chacun-e, mais aussi de leur intention et de leur bonne volonté.



Édition : Liana Randriamananoro



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